J’ai créé mon entreprise pour avoir la liberté

Le président de Lenovo, LIU Chuanzhi, était en France la semaine passée pour se voir remettre le prix de l’entrepreneur de l’année par l’EM Lyon.

 

 

A cette occasion il a été interviewé par le journal les Echos :

Vous avez fondé votre groupe en 1984, au tout début de l’ouverture chinoise, alors que les sociétés privées n’existaient pas encore. Vous étiez alors chercheur à l’Académie des sciences de Chine. Comment cela s’est-il passé ?

Deng Xiaoping venait de décréter le passage à l’économie de marché. Mais personne ne savait comment faire. Nous étions dans une économie administrée et le système juridique ignorait totalement les entrepreneurs. Nous avions des mini-ministères par industries. Un pour l’électronique, un autre pour l’aéronautique ou l’automobile, etc. Chacun de ces ministères était actionnaire des entreprises de son secteur. Il allouait des quotas de production, d‘employés et même le niveau des salaires. Du coup, ces entreprises ne décidaient rien, elles étaient en cage. C’est pour ça que j’ai voulu créer mon entreprise, pour avoir la liberté. Mais l’Académie des sciences n’avait jamais fait ça et ne savait pas comment procéder. Heureusement, son président avait compris en visitant les Etats-Unis que pour transformer des technologies en produits commerciaux, il fallait faire émerger des sociétés indépendantes.

La mise en place a été difficile…

Beaucoup plus difficile que cela ne l’est aujourd’hui. Il n’y avait bien sûr pas de grande concurrence, mais la situation était complètement chaotique. Nous avions un système juridique inadapté à une économie de marché. Nous avions par exemple mis au point une carte électronique permettant d’écrire en caractères chinois. Comme elles en avaient l’habitude, les autorités nous ont imposé un prix de vente correspondant au prix du matériel plus 20 %. C’était évidemment impossible, ça ne rémunérait même pas le travail des chercheurs. Du coup, nous avons fixé notre prix et on nous a immédiatement infligé une amende énorme de 1 million de yuans. Nous avons dû négocier pour la réduire, mais elle n’a pas été supprimée. Tout était comme ça. Une autre fois, un individu nous a escroqués. Cela m’a pris quinze jours pour le retrouver. Je n’arrivais plus à dormir la nuit et j’ai dû être hospitalisé. Tout cela s’est normalisé avec l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce.

Mais elle a fait entrer la concurrence américaine. Comment avez-vous résisté au débarquement de HP, Dell et IBM ?

Le gouvernement a réduit fortement les droits de douane et les quotas d’importation car il était mécontent de la qualité et du prix des produits chinois. Quand les américains sont arrivés, les grands groupes d’Etat se sont effondrés presque d’un coup. Le leader, Great Wall, a coulé en un an ! Nous, nous étions encore très petits, avec 2 % du marché. Nous avons analysé la situation du marché et nous nous sommes réorganisés en profondeur. Mais nous n’avions pratiquement pas de contrats gouvernementaux et les banques n’achetaient que des marques américaines en qui elles avaient plus confiance. Du coup, nous nous sommes tournés vers le marché grand public. Et là, nous avons trouvé notre avantage compétitif : la rapidité et la compréhension des besoins. Dans cette industrie, les prix des composants sont très volatils et chutent en quelques mois. Nous avons raccourci le cycle de production et fabriqué des quantités plus petites pour éviter tout stock. Ce qui nous permettait de baisser les prix de vente plusieurs fois dans l’année. Les américains ne pouvaient pas le faire car ils devaient avant en référer au siège aux Etats-Unis, puisque les budgets étaient annuels. Et puis nous trouvions des astuces. Par exemple, en 1999, quand l’Internet a décollé, les gens avaient beaucoup de mal avec le matériel de connexion. Alors, nous avons négocié avec les opérateurs locaux et intégré tout le matériel dans les ordinateurs. Du coup, on pouvait se connecter instantanément en un clic. Avec ça, notre part de marché a progressé de 7 points en une seule année !

Mais, à un moment, après l’échec d’une tentative de diversification, vous avez décidé de devenir une société mondiale en rachetant les PC d’IBM en 2005. Pourquoi avez-vous préféré cette solution plutôt que la croissance organique ?

La réponse tient dans deux chiffres. L’année de l’acquisition, notre chiffre d’affaires était de près de 3 milliards de dollars. Deux ans après, il a dépassé les 16 milliards. Nos profits sont passés de 140 millions à 480 et notre part de marché mondiale de 2,2 % à plus de 7 %. Elle dépasse aujourd’hui les 10 %. Nous avions besoin d’une marque, de technologies et de compétences. Nous avons soigneusement analysé la situation. Les risques étaient de trois ordres. L’acceptation de l’opération par les clients, la motivation des troupes internationales et le risque de choc de culture au niveau de la direction générale.

Retrouvez l’intégralité de l’interview sur le site des echos :  http://www.lesechos.fr/management/carre-vip/020913267491–j-ai-cree-mon-entreprise-pour-avoir-la-liberte-.htm

Propos recueillis par Maxime Amiot et Philippe Escande, Les Echos

Texte original : http://www.lesechos.fr/management/carre-vip/020913267491–j-ai-cree-mon-entreprise-pour-avoir-la-liberte-.htm

 

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